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Harcèlement moral : vers un procès France Télécom
Sept cadres dirigeants de France Télécom et l’entreprise elle-même, en tant que personne morale, devraient être renvoyés devant le tribunal correctionnel pour harcèlement moral ou complicité. C’est ce que demande le parquet de Paris au terme d’un réquisitoire accablant.
Se dirige-t-on vers un procès phare en santé au travail ? Les pratiques managériales mises en place à France Télécom en 2006 et la vague de suicides de salariés qui s’en était suivie avaient valu aux responsables de l’entreprise de l’époque d’être mis en examen, pour harcèlement moral en 2012. Le procureur de la République souhaite désormais qu’ils soient renvoyés en correctionnelle. Une décision motivée le 22 juin dernier dans un réquisitoire accablant de 193 pages que Santé & Travail s’est procuré.
« Il ne s’agit pas de faits de harcèlements pervers isolés, entre un manager et un salarié, mais d’un harcèlement moral systémique, une configuration quasiment inédite pour une question de santé au travail. C’est un délit initié par la direction générale, puis décliné dans toute l’entreprise », explique Me Jean-Paul Teissonnière, avocat de la fédération syndicale Sud PTT, qui avait porté plainte en 2009 auprès du tribunal correctionnel pour mise en danger de la vie d’autrui, homicide involontaire et harcèlement moral.
« On voit mal, désormais, comment cette affaire pourrait se terminer par un non-lieu », pronostique l’avocat, qui considère que la juge d’instruction reprenant le dossier, Brigitte Jolivet, devrait logiquement suivre les réquisitions du parquet. Sa décision sera connue dans les prochaines semaines, au plus tard « d’ici à septembre », selon Me Teissonnière. Le procès, lui, pourrait avoir lieu à la mi-2017.
« Les phases du deuil »
L’ancien PDG de France Télécom, Didier Lombard, et six de ses anciens collaborateurs, ainsi que l’entreprise, en tant que personne morale, risquent donc de se retrouver au tribunal pour « harcèlement moral » et « complicité de harcèlement moral ». Le réquisitoire du procureur rappelle les étapes et éléments de l’instruction, un véritable roman policier. Il regorge de témoignages de managers, pris dans la spirale des plans de restructuration intitulés Next et Act : leurs primes dépendaient de leur capacité à faire partir le personnel. Il cite notamment un document de formation, estampillé France Télécom, dans lequel figure un graphique intitulé « le positionnement des salariés et les phases de deuil ».
« L’annonce aux collaborateurs qu’ils n’ont plus aucun avenir dans l’entreprise y est assimilée à celle d’un décès, précise Me Jean-Paul Teissonnière. On explique qu’ils vont être dans une situation de colère puis de désespoir et qu’il ne sert à rien d’agir pendant ces phases. Des dizaines de salariés de France Télécom se sont retrouvés au fond de cette courbe du deuil, sans aide, et ont fini par se suicider. »
Olivier Barberot, ancien DRH mis en examen et cité dans le réquisitoire, admet que, « rétrospectivement, l’utilisation du mot deuil est déplacée » et que l’expression « retirer sa chaise » est « inadmissible ». C’est ainsi que le management désignait le fait d’isoler un collaborateur pour le faire partir. Mis au placard, des dizaines de salariés ont vu leur service déménager, ont été privés de leur ligne téléphonique, voire même parfois de leur chaise et de leur bureau.
Version « édulcorée »
« On sait aujourd’hui que certains comptes rendus de réunion rédigés par le management ont été édulcorés par rapport à la dureté des propos qui étaient réellement tenus par les dirigeants », commente Me Jean-Paul Teissonnière. A l’image de cette phrase de l’ex-PDG, Didier Lombard, à propos des 22000 départs d’agents prévus par les plan Next et Act, et dont la fin aurait été censurée dans le compte rendu officiel : « En 2007, je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte. » L’ancien dirigeant affirme aujourd’hui que ces 22 000 départs prévus en trois ans correspondaient aux départs naturels en retraite. Ce qui ne convainc pas le parquet. « Cette dénégation n’est pas sérieuse », peut-on lire dans le réquisitoire, qui retient que « l’objectif de déflation et de mobilité est devenu une fin en soi, quels que soient les moyens pour l’obtenir ».
Compte tenu du retentissement médiatique d’un éventuel procès, d’autres salariés ou familles pourraient bien se constituer partie civile, en plus de la vingtaine qui s’est déjà jointe à la plainte des syndicats. « Il existe nécessairement de très nombreuses victimes non identifiées », mentionne le procureur dans son réquisitoire. « Il ne s’agit pas uniquement de la question des suicides. L’ensemble du personnel a été déstabilisé par les agissements de la direction », commente pour sa part Me Teissonnière. Ce dernier regrette néanmoins que les qualifications d’homicide involontaire et de mise en danger de la vie d’autrui n’aient pas été retenues. D’autant que le rapport de signalement de l’inspectrice du travail Sylvie Catala, mandatée par le parquet pour enquêter sur les faits en 2009, retenait l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui. Or l’instruction et le réquisitoire du procureur s’appuient en grande partie sur ce rapport.
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Santé & Travail suit l’affaire France Télécom depuis ses débuts. Nous avions notamment publié en 2009, avec Mediapart et en exclusivité, les extraits d’une réunion où les dirigeants de France Télécom avaient annoncé clairement leurs intentions concernant la façon dont les 22 000 départs d’agents programmés sur trois ans devaient être gérés. Nous avions également publié en 2010 des extraits du rapport rendu par l’inspectrice du travail Sylvie Catala.